jeudi, juin 08, 2006

Une journée sans fin


Cinq heures du matin, d’habitude la maison est calme, pas un bruit, je me réveille en sursaut comme si quelque chose d’important se passait là autour de moi, j’ouvre les yeux, en face de mon lit la salle de bain, papa se rase, inhabituel à cet heure ci, je me lève avec une angoisse qui surgit je ne sais d’où, un nœud sur l’estomac, je m’approche et là je vois les yeux rougis de papa, des larmes qui coulent.
Il me dit tu sais ton cousin Pierre. Oui je sais, je refais le film de la veille à 100 à l’heure, il conduisait une jeep pour emmener des gens combattre au nord de la région contre les Palestiniens qui ont ouvert se front et tentaient une avancée vers nos régions, je voulais le voire absolument lui parler, pourquoi ? Je ne le sais pas moi-même, mais ça me paraissait vital, je l’ai cherché un moment et quand enfin je l’ai aperçu, trop tard la jeep s’éloignait, j’ai couru après pas réussi à le rattraper. Et bien mon cousin oui qu’est ce qu’il a ? Et bien il a été blessé par un obus cette nuit il est en salle d’opération.
A ce moment j’ai compris ce que voulait dire l’expression : le monde s’écroule, je n’ai pas encore 18ans.
Mes parents sont partis à l’hôpital, je suis resté prostré un moment dans le salon à attendre des nouvelles, à téléphoner à mes tantes, je cherchais une réponse qui me rassure, tenaillé par une sensation de vide absolue qui grandit en moi.
Le temps s’est figé, le temps a changé, à cette période où il fait beau, le ciel s’est voilé, comme pour annoncer une mauvaise nouvelle à laquelle il me prépare.
Je sors de l’immeuble pour aller chercher des nouvelles, je n’en peux plus, mon être mon âme ma tête bouillonnent, tout se bouscule dans une cacophonie et un désordre, le chaos.
Dehors le ciel est triste, les rues sont vides, je trouve quelqu’un que je connais, je lui pose des questions, je lui parle, avec cette sensation que quelqu’un d’autre parle à ma place, les yeux dans le vague. Je suis vide de toute vie, l’impression d’être quelqu’un d’autre que je ne connais pas.

Quand enfin j’aperçois un de mes cousins, je suis paralysé, je veux aller vers lui, lui parler, pour savoir, mais j’ai peur de la réponse, je m’approche comme un zombie, la gorge nouée, les larmes au bord des yeux, les poings serrés, à sa tête j’ai compris qu’il n’y a pas de question à poser, pourtant je le fais espérant me réveiller d’un cauchemar, entendre non tu t’es trompé, tout va bien.

A ma question, sa réponse nette sans appel comme un guillotine, j’entends, il est mort, il n’a pas survécu à ses blessures, il était à 7 Km du lieu du combat, un obus a percuté le montant de la fenêtre de sa jeep, un éclat lui a tranché la carotide.

Puis le néant absolu, je ne me rappelle plus de rien, jusqu’au moment où j’ai pu aller chez lui, le soleil est revenu, je ne sais plus si je pleure, si je suis moi ici, je ne sais même plus qui je suis.

Le cercueil, au milieu de la pièce, un cordon fait par des adultes pour que personne s’en approche, je veux le voir on veut m’en empêcher, je trouvé une force que je ne me connais pas, j’ai agrippé deux mains qui se tiennent, j’ai appuyé de toutes mes forces ils n’ont pu résister, ils me demandent de les lâcher, je suis passé.

Il a les yeux fermés, le côté tuméfié, mais un air apaisé, j’ai vidé mes dernières larmes, j’ai épuisé mes dernières colères.

Longtemps il m’a hanté, il a habité mes rêves, toujours les mêmes, il est là vivant à mes côté, il n’est pas mort, puisqu’il me répond au téléphone, puisqu’il passe me voir. Je me réveille pour retoucher à la réalité.

Maintenant que ses visites se font plus rares, je les prends comme un cadeau, je sais qu’on ne s’est pas oublié.



19 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est très beau et très fort comme texte...
J'ai la chance de ne pas avoir pour l'instant (et je touche du bois) beaucoup de proches de décédés alors je ne sais pas trop ce qu'on ressent mais ça doit être une épreuve très dure en tout cas...

Anonyme a dit…

C'est très beau et très fort comme texte...
J'ai la chance de ne pas avoir pour l'instant (et je touche du bois) beaucoup de proches de décédés alors je ne sais pas trop ce qu'on ressent mais ça doit être une épreuve très dure en tout cas...

Anonyme a dit…

Moi zaussi je vous aime sauf Bev' forcément tout le monde le sait...
Bisous mon Bev' ;)
J'ai laissé des bisous chez moi puisque je suis là avant :)

Photos et Mots a dit…

Si j'écris ça c'est avec tristesse c'est sûr, mais sans amertume, si j'écris ça c'est pour vous dire et dire à ma petite Ann que la vie est belle, fragile et vaut malgré tout la peine....

Je vous aime oui sans aucun conteste, vous faites partie de mon univers, des découvetres riches et enrichissantes, ce n'est pas de la sagesse, j'apprends de vous également et plus que vous ne le pensez.

Pergo merci pour tes mots d'amour aussi, osé le dire et le dire c'est au delà de tout.

Oui Fred, je sais ce veulent dire tes mots et tu sais combien j'y suis sensible.

Anonyme a dit…

Le Dieu pognon ouais...
Désolée mais vraiment je peux pas m'empêcher de le penser et donc de le dire...
Ca m'empêchera pas d'aller voir les matchs de l'Italie (la bonne occase pour traîner dans les bars ça encore...) mais je suis réaliste...
Et pourtant oui ça pourrait être magnifique un monde qui joue si yavait pas tout ce qu'il y a derrière...

Anonyme a dit…

C'est pour ces cassures, que certains ont vécues,que le plus souvent possible, je souris à la vie avant qu'elle ne me fasse ce tour pendable de ne plus sourire pour ceux que j'aime.

Anonyme a dit…

"je souris à la vie avant qu'elle ne me fasse ce tour pendable de ne plus sourire pour ceux que j'aime."

Joli ça...

Anonyme a dit…

Plein de bisous pour quand GTO va revenir :)
Tu m'as manqué hier...

Photos et Mots a dit…

Que c'est agrèable de revenir ici pour retrouver des mots doux...

Anonyme a dit…

En général on rend ce qu'on nous donne... :)
Non, Bev' si tu m'envoies une photo de ton sexe j'en fait pas de même c'est pas dans ce sens là que je disais ça... :p

Ph a dit…

Bouleversant témoignage ! De plus tu écris sans rancoeur dis tu !
Mais je pense que cela doit être important pour toi de l'écrire, que cela soit lu par d'autres !
Comme c'est important pour nous de te lire, pour toi, pour nous et pour modifier une vision de monde bien souvent comme le font les autruches !
Je crois que nous allons vers catastrophes bien plus terribles encore et j'en suis désolé pour les plus jeunes !

Enfin, c'est bien pour connaître mieux le Liban, ses souffrances ... je me souviens de 1988, c'était terrible !

J'avais 38 ans !

Mes illusions s'effritaient

Photos et Mots a dit…

Oui mon frère c'est important pour moi d'écrire, et c'est la première fois que je "couche" sur le papier ce moment de ma vie, je l'écrivais avec beaucoup d'émotion, mais sans rancoeur, d'ailleurs je n'en ai jamais eu, car ceux qui se sont entretués sont tous fautifs à mes yeux, chacun s'appropriant la bonne cause et la bonne vérité.

Et le Liban n'a pas finit de souffrir.

Anonyme a dit…

Je découvre ton texte ce soir et je suis bouleversée. Je ne sais pas quoi dire d'intelligent de plus, alors je me tais.

Anonyme a dit…

Bon c'es très émouvant et tres bien raconté et bien que je ne te connaisse pas je retiendrais la dernière phrase qui, je trouve, résume bien l'état d'esprit que tu presentes.

Boual

Photos et Mots a dit…

Oui Boual,

c'est la phrase la plus importante pour moi aussi.

Merci à vous de prendre la peine de me lire.

Anonyme a dit…

Des bisous pour mon GTO qui est pas très loin de moi aujourd'hui ;)

Photos et Mots a dit…

Bonjour grand fou

Oui la similitude de la douleur dans ces moments, mais on préfère s'en passer.
Tu nous manque aussi.
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Ma petite Ann toujours fidèle au poste.
J'adore les princesses....en plus quand je les retrouve chez moi, je mesure ma chance....

Anonyme a dit…

GTO il a dit que j'étais une princesseuh nananèreuh et pas vous euh :p

:)

Photos et Mots a dit…

Je prends Alex ton cadeau, tes mots me touchent.